Photo Kim Jonker : Savez-vous goûter… les tubercules ? Presses de l’EHESP, 2014
Au début d’une formation, c’est le jeu de lancer des clichés alimentaires pour observer les réactions des participants. Et la phrase bien connue, « les féculents font grossir », ne laisse pas indifférent !
Beaucoup la réfutent : « Non, ça dépend surtout de la quantité mangée, comment c’est cuisiné, et de ce qui accompagne, etc. »
Pourtant, quelques personnes sont d’accord : on devine qu’elles ont été concernées, de près ou de loin, par un régime qui ciblait ces féculents, et redoutent la prise de poids.
En creusant un peu, on voit que la notion de féculent n’est pas si claire, dans la cacophonie actuelle des informations nutritionnelles.
Les féculents, c’est quoi ?
Les féculents sont des aliments qui contiennent de la fécule, c’est-à-dire de l’amidon.
L’amidon, c’est une forme chimique complexe du glucose, notre source d’énergie.
Le glucose, véhiculé par le sang, est comme un carburant qui soutient l’activité du corps, du cerveau, des muscles. Il alimente notre température corporelle par son apport calorique.
On comprend donc que la teneur en glucose (glycémie) du sang doit être constante et tempérée. C’est ce qu’on recherche grâce aux aliments « glucidiques », ceux qui nous apportent du glucose
L’amidon permet cette constance : il se transforme progressivement en glucose par une digestion lente, via la salive, puis les sucs digestifs de l’intestin. En cela, les aliments féculents diffèrent des glucides simples, à la saveur généralement sucrée et plus proches du glucose : saccharose, maltose, fructose…, du miel, des fruits, des corn flakes, confiseries et pâtisseries, qui provoquent hyper et hypo glycémies, addiction et un manque structurel d’énergie.

Les aliments féculents sont notre source privilégiée d’énergie
C’est pourquoi ils doivent figurer dans les menus quotidiens des cantines.
Ils sont d’autant plus intéressants s’ils contiennent, ou sont accompagnés d’une variété de nutriments (sels minéraux…) et de fibres qui tempèrent d’autant plus le passage du glucose dans le sang. C’est le cas des légumineuses et aussi des céréales non raffinées ; et de tous les féculents lorsqu’on les accompagne de légumes.
Mais les féculents questionnent aussi nos modes de vie devenus très sédentaires. Et nos besoins réels en énergie ! L’activité physique est aussi un puissant régulateur du glucose dans le sang : elle prévient sa transformation en graisses.
Bien sûr, chaque personne a des aptitudes d’assimilation et de digestion propres.
On peut approfondir les questions de la glycémie, du diabète, de l’insuline et de la transformation des sucres en graisses sur les sites dédiés à la santé publique.
Mais la nutrition n’est pas tout …
Elargissons un peu la focale !
Personnellement, je trouve assez violente cette affirmation « les féculents font grossir » qui stigmatise ces aliments. Elle révèle combien nous sommes, mangeurs modernes, captifs de références discutables :
- une obsession de la minceur, et de sa sœur jumelle « grossophobie », qui pèsent sur tous et toutes. Avec son poids d’accusation et de culpabilité qu’il faut expier en se privant.
- une vision très pauvre de la diététique qui résume les aliments à leur apport calorique, ou à un seul nutriment, comme on l’a vu pour l’amidon dans les féculents.
- une illusion de pureté et un culte de la blancheur, non seulement pour le sucre, mais pour le riz, les pâtes et le pain blancs, dont on a enlevé les fibres, perdant ainsi leur qualité et leur intérêt.
- une moralisation incessante qui encombre les assiettes, et complique le fait de se nourrir !
Le professeur Jean-Michel Lecerf (chef du service Nutrition de l’institut Pasteur de Lille) rappelle régulièrement que manger, c’est « nourrir – réunir – réjouir », et que la nutrition n’est qu’un volet incomplet de l’alimentation ! Il est connu pour son sens des nuances et son attachement à la diversité alimentaire.
Lors d’une table ronde avec lui (2013), j’ai employé le mot « féculents » en parlant de divers aliments végétaux. Alors il a repris, sceptique : « moi, je ne sais pas très bien ce que c’est qu’un féculent ».
Un peu ébranlé , j’ai mis du temps à comprendre ce qu’il voulait dire !
En effet, regardez ces aliments :
- Les pommes de terre, les patates douce, l’igname, la purée ou les frites,
- le pain et tout ce qui contient de la semoule ou de la farine,
- et toutes les autres farines
- la banane,
- la polenta et les gnocchis,
- un porridge, du muesli,
- les pois chiches, lentilles ou haricots de toutes les couleurs, et dans toutes leurs expressions: dahl, falalels, chilis, etc.
- les riz des cuisines du monde,
- les pâtes italiennes ou les nouilles asiatiques,
- les châtaignes…
Doit-on les identifier selon leur plus petit dénominateur commun, leur teneur en amidon ?
Regardons à nouveau la photo ci-dessus : ces aliments contiennent certes tous de l’amidon. Mais ils contiennent tellement d’autres nutriments qui font leur singularité, leur richesse, et leur goût !
N’ont-ils pas bien d’autres choses à nous raconter pour ce qui est de réunir et de réjouir ?
Des aliments très aimables, mais mal famés
Ces « féculents » sont des aliments doux, chaleureux, aimés de tous, cuisinés et mangés depuis des millénaires. Pour des plats qui réconfortent et qui rassasient.
Ce sont des aliments de base, peu onéreux, autour desquels s’organise notre alimentation quotidienne, et qui font partie de notre identité.
Entre riz, pain et pâtes, chaque région du monde a « son féculent » de référence avec des formes bien définies :
- la tortilla de maïs d’Amérique centrale diffère de la polenta des Italiens.
- la bouillie de blé noir des bretons est peu semblable à celle des russes, la kasha, à base sarrasin ou d’orge grillés.
Bref, ce sont des aliments qui relient les populations qui les mangent dans une même culture.
Et ce sont aussi des « liants » en cuisine !
Les féculents lient les jus en les épaississant en sauce.
Ils relient entre eux les ingrédients d’un mélange
En effet, les grains secs d’amidon, d’une farine ou d’une fécule, se gonflent d’eau et gélatinisent entre 60° et 90° pour donner une texture moelleuse, ronde et onctueuse, légèrement collante. C’est ce qui se passe dans une sauce béchamel, que ce soit avec de la farine ou de la fécule de maïs.
De même, les lentilles, les châtaignes ou les patates cuites apportent du liant, de la consistance et du velouté à un potage que l’on mixe.
Nous apprécions aussi l’amidon du très onctueux risotto, qui traditionnellement, n’a jamais eu besoin de crème fraîche : lorsqu’on remue les grains dans le bouillon ajouté très progressivement, l’amidon se répand, épaissit et produit une sorte de sauce finement gélatinisée.
Est-ce en raison de ce côté populaire, économique, roboratif et « épais », que la cuisine dite gastronomique valorise peu ces aliments perçus comme lourds et non nobles, hormis les pommes de terre. Et privilégie le plus souvent les produits animaux, avec quelques légumes pour faire-valoir. Une cuisine souvent riche et grasse, et très sucrée côté desserts.
Alors, les féculents font-ils grossir ?
… Ou sont-ils des boucs émissaires bien pratiques d’une perte de cap dans nos alimentations ?
Dans les cuisines populaires, les aliments riches en amidon n’ont pas toujours été synonymes de prise de poids.
En France, on consommait un kilo de pain par jour et par personne en 1840. L’alimentation était loin d’être parfaite, mais le surpoids et l’obésité étaient rares ! Contrairement à la fin du XXème siècle, où la consommation de pain n’était plus que de 200 gr par personne. Source : Manger Autrement JM Lecerf 1984
Plus encore, regardons tout autour de la planète ces alimentations populaires basées sur les protéines végétales avec l’association de 2 « féculents » dans le même plat : semoule de couscous et pois chiche dans le Maghreb, riz et lentilles de l’Egypte jusqu’en Inde, haricots avec maïs ou riz de l’Amérique centrale à l’Afrique, minestrone de pâtes-haricots ou soupe de Pistou patate-haricots en Provence.
Dans tous ces pays, on constate que le surpoids et l’obésité ont gagné à mesure que disparaissaient ces plats traditionnels, tandis que progressaient les céréales raffinées (sans fibres), ainsi que des repas riches en gras, sucre et produits animaux et industriels.
Et rappelons que le surpoids est aussi le produit de nombreux cofacteurs comme l’hérédité et la sédentarité.
En résumé
Les féculents sont des aliments riches en amidon, notre source privilégiée d’énergie.
Depuis des millénaires et dans le monde entier, ces aliments composent la base de nos plats quotidiens : rassasiants, peu onéreux, ils apportent une texture douce, onctueuse, très appréciée en cuisine.
Ils sont plus intéressants s’ils contiennent ou sont accompagnés d’une variété de nutriments et de fibres, comme on le voit dans les cuisines du monde, riches en légumes et légumineuses.
La sédentarité liée à notre mode de vie contemporain augmente le risque de prise de poids. Les aliments raffinés, transformés par l’industrie, ainsi que l’augmentation de gras, sucre et produits animaux dans nos repas quotidiens, peuvent également générer surpoids et obésité.
C’est en cuisine qu’on peut en finir avec cette accusation cliché
- En réapprivoisant régulièrement la diversité des céréales sous leurs formes complètes ou ½ complètes, et aussi les légumineuses.
- En s’inspirant du célèbre régime méditerranéen qui, de l’Espagne au Liban, de l’Afrique du Nord à la Turquie, a toujours su associer des aliments féculents fortement présents, avec une grande quantité de fruits, légumes, oléagineux, et une part animale en viande, œufs et fromage très modérée.
- Avec des savoirs culinaires adaptés aux féculents, comme la cuisson des pâtes al dente qui permet une assimilation lente de leur amidon.
- C’est en cuisine, en comprenant ce qu’ils sont, et comment les transformer, que ces aliments peuvent révéler tout leur potentiel !
A bientôt !
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